Saint Jean-Baptiste.
Vers 1620-1630.
Huile sur toile. 100 x 136,5 cm.
Bibliographie : Inédit.
A partir de 2006 j’ai commencé, dans deux publications 1, à dégager une personnalité artistique au style bien distinct, dont le corpus faisait majoritairement partie de la « galaxie » des tableaux attribués à Tommaso Salini.
Depuis un certain temps déjà je nourrissais des doutes croissants sur l’unité de ce groupe, qui différait évidemment des quelques toiles attribuables avec certitude au peintre et qui parlent un langage décidément différent, incompatible avec une quelconque phase de son œuvre qui, ne l’oublions pas, se termine assez tôt, avec sa mort en 1625. Pendant l’exposition Caravaggio e l’Europa en 2005 à Milan j’avais de fait noté les corrélations entre une toile demandée pour la section de l’exposition consacrée aux énigmes attributives et aux maîtres anonymes (Le génie des anonymes) 2 – un Ecce Homo conservé dans l’église de San Michele Arcangelo à Baranello –, et la toile avec les Quatre saints couronnés du Museo di Roma, donnée dans l’exposition à Orazio Riminaldi 3, une attribution erronée mais qui faisait suite à un certain nombre d’autres, dont une à Tommaso Salini, que j’avais approuvée en 1989 4.
Dans mes communications ultérieures de 2006 et de 2009, le tableau de Baranello a donc constitué le name-piece autour duquel j’ai réuni un certain nombre de tableaux qui appartenaient au groupe Salini ; en 2011 j’ai finalement dédié une longue étude à la question, retirant du précaire corpus du peintre romain beaucoup d’œuvres avec des personnages, dont les analogies me semblent clairement indiquer un même auteur 5. Parmi celles-ci il faut rappeler, en plus des deux œuvres déjà citées, l’Amour vainqueur de la Galerie du château de Prague, l’Allégorie de la Musique, de localisation inconnue, Dédale et Icare de la collection Koelliker (dans ces deux toiles est reproposé le visage du saint au premier plan du petit retable aujourd’hui au Museo di Roma), le Couronnement d’épines du Musée Pouchkine à Moscou, la Vieille femme avec un jeune homme buvant à la fiasque et la Dérision du Christ, ces deux dernières de localisation inconnue (toutes ces œuvres sont publiées dans mon étude de 2011).
L’œuvre ici étudiée est à mon avis du même maître et constitue une adjonction de premier plan, si l’on considère sa qualité et son état de conservation éblouissant, que la radiographie effectuée confirme totalement. Il suffit de comparer certains détails, comme par exemple les pieds longs et minces (qui sont vraiment un signe distinctif de l’artiste), pour n’avoir aucun doute sur cette attribution ; qu’on les compare avec ceux des Quatre saints couronnés de Rome, de l’Amour vainqueur de Prague ou du Dédale et Icare de Koelliker, et nous retrouvons la même typologie, la même manière d’ombrer la peau et les doigts. Un autre élément incontestable est l’aspect chatoyant du tissu rouge qui ceint la taille du Baptiste et qui semble avoir la consistance de la soie ; il est tout à fait semblable à celui du drapé du Christ dans l’Ecce Homo de Baranello (qui n’est pas rouge, mais plein de reflets miroitants comme ici), du saint au centre du tableau du Museo di Roma, de l’Amour vainqueur de Prague, mais aussi du Couronnement d’épines du Musée Pouchkine et du Saint Jérôme du Palazzo Spinola à Gênes.
Il faut souligner dans notre tableau quelques morceaux particulièrement admirables : le pied tourné vers nous, noirci par la terre sur laquelle il a marché, et l’ombre de l’autre jambe qui se projette délicatement sur la cheville et le mollet ; la magnifique croix, attentivement représentée avec la convexité des deux cannes de roseau ; le remarquable phylactère (la restauration a éliminé l’écriture Ecce Agnus Dei, indiquant par là qu’elle était apocryphe) qui descend en vrille et flotte autour d’elle, décrit avec une sensibilité raffinée pour en définir les ombres douces et les éclats de lumière, ainsi que le déploiement sinueux.
Comme je l’écrivais en 2011, une série d’indices stylistiques conduit à penser que le maître de Baranello est d’origine napolitaine, mais il faut qu’il ait eu aussi un rapport avec Rome, si l’on considère ses affinités avec Tommaso Salini et la présence d’un de ses retables dans la cité pontificale, à savoir celui des Quatre saints couronnés, un temps à San Tommaso dei Cenci.
Gianni PAPI
(traduit de l’italien)
[1] G. Papi, Postille ai dipinti in mostra a « Il genio degli anonimi », in Caravaggio e l’Europa. L’artista, la storia, la tecnica e la sua eredità, Colloque international, Milan, 3-4 février 2006, sous la direction de L. Spezzaferro, coordination scientifique de M. Fratarcangeli, Cinisello Balsamo, 2009, pp. 224-229 ; id., Un nuovo San Paolo di Valentin e alcune « anonime » aggiunte, in Da Caravaggio ai Caravaggeschi, sous la direction de M. Calvesi et A. Zuccari, Rome, 2009, pp. 379-390.
2 G. Papi, Il genio degli anonimi, catalogue de l’exposition, Milan, 2005, pp. 108, 119.
3 I. Colucci, in Caravaggio e l’Europa. Il movimento caravaggesco internazionale da Caravaggio a Mattia Preti, catalogue de l’exposition, Milan, 2005, pp. 448-449.
4 G. Papi, Un tema caravaggesco fra i quadri di figura di Tommaso Salini, in ‘Paragone’, 17 (475), 1989, pp. 42-51.
5 G. Papi, Il Maestro di Baranello, fra Salini e Napoli, in ‘Bulletin de l’association des historiens de l’Art italien’, 17, 2011, pp. 10-23.